Archétype de l’homme d’esprit, grand séducteur, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, 1754-1838, 60 quartiers de noblesse, ci-devant évêque d’Autun et fait prince de Bénévent par l’Empereur, ne serait-il que « le diable boiteux », et l’archétype du traître qui, avec son sens de la répartie disait : « Je porte malheur aux gouvernements qui me négligent » ?
Ce joueur, cet animal à sang-froid adulé par ces dames, ce « prince immobile“ selon l’expression d’Emmanuel de Waresquiez, ce gourmet, cet amateur d’art, qui a prêté 12 serments de fidélité de Louis XV à Louis-Philippe Ier, reste une énigme. Il disait lui-même : « Je veux que pendant des siècles on continue à discuter sur ce que j’ai été, ce que j’ai pensé, ce que j’ai voulu ». En fait, cet homme des Lumières passe son temps à surprendre car il est acteur de la modernité. Un des auteurs de la Déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789, officiant de la Fête de Fédération du 14 juillet 1790 (il dit à Lafayette : « Ne me faîtes pas rire »), mais aussi responsable de la malencontreuse constitution civile du clergé, Talleyrand apparaît comme un habile diplomate, ministre des Relations extérieurs de 1797 à 1807, mais aussi il a la stature d’un homme d’Etat. Il « sauve les meubles » au Congrès de Vienne en 1814-1815, assume l’ingrate tâche de président du Conseil en juillet-septembre 1815 lorsque la France est occupée par un million de soldats alliés et, surtout, pour maintenir la paix en Europe, il est bien le créateur de l’actuelle Belgique en 1831, alors qu’il est ambassadeur à Londres où le Premier ministre Palmerston le considère comme le plus grand des Français.
Il va de soi que ce personnage truculent, plein de contradictions, de morgue, faussement paresseux, prévaricateur, concussionnaire, qui aima puis détesta Napoléon, est aussi un artiste de la langue française. La France de Talleyrand est celle de l’intelligence, des bons mots et du prestige.